Étiquette : point de vue

  • Transmettre pour être autonome

    D’où provient notre connaissance ?

    C’est une question qu’on se pose souvent – ou au moins une fois – dans sa vie : qu’ai je réellement appris ? Cette question est à double sens : qu’est-ce que je transmets à autrui ? Pourquoi est-ce important pour moi ? On peut répondre facilement à ces deux questions dans notre sphère personnelle, familiale ou amicale. Toutes les cultures dans le monde se transmettent à l’oral depuis la nuit des temps. Toutes ? Que dire de la culture de votre entreprise ?

    Je me suis souvent demandé en quoi je participais malgré moi à la culture d’entreprise. Mes échanges et mes partages arrivent je pense en première place. Mais, si je suis le seul à le faire, comment ma parole enrichit vraiment l’entreprise ? Je pourrais peut-être pratiquer une sorte de censure, de limitation voire de réécriture selon mes propres opinions.

    Et puis comme toujours, l’actualité nous rattrape. Fin Février 2025, Amazon change sa politique en matière de bibliothèque numérique. Dorénavant, l’entreprise américaine ne permet plus de télécharger des ebooks directement sur sa liseuse. Cela semble anodin, mais ça signifie que la seule source légitime de connaissances pour les utilisateur·ice·s de Kindle devient la bibliothèque numérique du géant américain. Sans voir le mal partout, on pourrait imaginer une sélection approuvée de livres, une limitation liée aux auteur·ice·s politiquement correct·e·s, voire une censure sur des sujets de société. Nous venons de perdre notre autonomie d’apprentissage et de divertissement.

    Devenir une bibliothèque vivante

    Avant de se transformer en tradition orale, nos histoires, contes ou expériences, sont simplement des discussions. C’est au fil de nos récits, de nos échanges que se tisse quelque chose de plus universel – une parole à transmettre. Cependant, à part vous-même, qui connait votre formidable liste de récits ? Pourquoi ne pas commencer dès aujourd’hui à partager une expérience positive autour de vous, telle une information que vous souhaiteriez que d’autres se racontent à leur tour. Ça paraît dingue de le faire en entreprise ? Pourquoi serait-ce différent dans ce contexte ?

    La culture d’entreprise émerge du système dans lequel elle baigne. C’est par cette culture que de nouvelles pratiques voient le jour ensuite. Cela signifie que nous sommes tous acteur·ice·s du changement que nous pourrions espérer.

    « Soyons le changement que nous voulons voir dans le Monde. » ~Gandhi

    Je suis convaincu qu’en encourageant à partager nos expériences positives,  nous débloquons la parole au sein de nos équipes. En accompagnant chaque individu à s’exprimer,  nous créons notre propre récit. Nous gérons notre savoir en totale autonomie.

    Maintenir notre autonomie

    La première des choses à faire selon moi est de tenir une sorte de catalogue vivant. Pas besoin d’être extravagant ou détaillé. Nous pourrions commencer par une simple liste comportant :

    • Un sujet
    • Un·e narrateur·ice

    Simple non ? Affichons cette liste dans un lieu d’échanges informels comme une cafétéria ou une salle de pause et nous avons un début de bibliothèque vivante.

    Allons plus loin en donnant envie d’écouter notre histoire, comme une quatrième de couverture. Catherine Garrod dans son livre Conscious Inclusion nous dévoile une technique très simple pour décrire un propos tout en faisant attention au sentiment d’inclusion qu’il procure :

    • Un titre : phrase courte et simple autour du sujet que les personnes apprendront
    • La connaissance : ce que nous allons retenir (un peu plus détaillé, mais pas trop)
    • Le sentiment : que vous ressentirez une fois le récit partagé
    • Une action : que vous prendrez peut-être après ce partage

    Continuons dans notre cheminement. Nous voulons que notre récit soit partagé, au plus grand nombre pourquoi pas. Mais peut-être que vous ne voulez pas tout dévoiler. Par pudeur, par respect, certaines parties devraient rester anonymes. Comment faire dans ce cas ? Il existe la règle de Chatham house pour cela. Cette règle tacite stipule que vous avez le droit et l’autorisation de partager vos histoires à qui vous voulez, cependant,  n’en révélez pas la source. C’est une version inversée de la loi de Las Vegas (ce qui se passe à Vegas reste à Vegas). Votre bibliothèque s’étoffe de plus en plus, il reste une dernière étape.

    Le charme d’une librairie, contrairement à un site en ligne, réside dans les libraires. Ces personnes sont capables de vous orienter vers un ouvrage grâce à quelques informations sur vos centres d’intérêt. Faisons de même ! Pourquoi ne pas créer une sorte de réseau qui tisserait telle une toile d’araignée des liens entre chacune des expériences de notre liste ? Une carte mentale pourrait très bien faire l’affaire, en reliant les récits à des thématiques ou des émotions particulières.

    Nous voici en possession d’une structure organique, vivante, reliant les individus par leurs expériences positives (ou non, pourquoi pas) et libre d’être écouté par tou·te·s.

  • Le poids des mots

    « Prudence devant les formules. Elles sont parfois comme le tonnerre : elles frappent mais n’éclairent pas. »

    ~ Albert Camus

    Lors d’une de mes conférences d’introduction à la sécurité psychologique, une participante est venue me partager en fin de session une de ses pensées : le terme « sécurité » fait peur, pourquoi ne pas le remplacer par quelque chose de plus rassurant comme « confort » ?

    Hum, le « confort psychologique » ? Je suis toujours ouvert à toutes sortes d’idées donc j’ai analysé sa remarque avec attention. Souvent, pour me forger une opinion, je la consolide avec des recherches. Ici le dictionnaire (le Larousse par exemple) semblait une bonne piste.

    Confort (n.m.) : Ensemble des commodités, des agréments qui produit le bien-être matériel ; bien-être en résultant.

    Sécurité (n.f.) : Situation dans laquelle quelqu’un, quelque chose n’est exposé à aucun danger, à aucun risque, en particulier d’agression physique, d’accidents, de vol, de détérioration.

    C’est bien l’idée première que j’en avais : le confort est une commodité, un luxe, quelque chose en plus pour améliorer, embellir ou agrémenter une situation. Le confort par sa nature est quelque chose d’optionnel.

    Par contre la sécurité semble vitale. Sans sécurité, il y a un risque d’être exposé à de futurs dégâts. Dans mes conférences, j’aborde le sujet du burn-out et la sécurité des individus est primordiale dans ces contextes – le confort est considéré dans un second temps.

    Ainsi, ces deux mots ne partagent en aucun cas la même finalité et les intervertir serait une erreur à mon sens.

    Pourquoi est-ce important ?

    Quel était le but de cette remarque ? Que craignait cette participante qui – je le voyais bien – était de bonne foi et souhaitait expérimenter les pistes que je venais de présenter ?

    Cette réponse, je l’avais depuis quelques années déjà plus ou moins découverte. L’être humain a peur de ce qu’il ne connait pas. La sécurité psychologique est encore un domaine jeune, peu connu en France, et le promouvoir peut s’apparenter à se jeter dans le vide en espérant que quelq’un ait bien accroché un parachute dans votre dos.

    Le confort adoucit, nuance et arrondit les angles de l’adjectif qui le suit. En substituant le terme « sécurité », on tente d’atténuer l’impact que le terme « psychologique » assène aux auditeur·ice·s.

    C’est l’alliance des deux qui effraie : la sécurité rimant avec le danger ; la psychologie avec la folie ou la manipulation. Dans un contexte d’insécurité psychologique serait-il possible de manipuler quelqu’un à l’extrême, jusqu’au point de non-retour ? La perspective est vertigineuse et effraie.

    Être ouvert·e d’esprit

    Ce n’est pas parce qu’un concept vous fait peur qu’il faut le renommer pour qu’il disparaisse. C’est aussi contre-productif que de l’ignorer. Au contraire il faut l’étudier pour en comprendre ses contours.

    Selon la définition d’Amy Edmonson, la sécurité psychologique vise à établir un environnement sain où chaque individu peut partager au reste du groupe ses questions, ses doutes, ses craintes, ses erreurs, sans que cela ne lui porte préjudice, blâme ou humiliation. C’est aussi simple que cela à définir.

    Nous sommes ici tou·te·s acteur·ice·s. Que nous soyons employé·e, chef·fe de projet ou d’entreprise, coach, … Chaque personne peut jouer un rôle et agir au quotidien pour une meilleure sécurité psychologique.

    Si par hasard vous ne faites pas encore partie de ces acteur·ice·s, renseignez-vous sur les actions et les intentions de ces personnes. Ce domaine subtil est difficile à comprendre au premier abord et souvent j’ai était confronté à des méprises : sur mes intentions, sur la nature de mes interventions voire sur ma posture. Une courte et franche discussion lève le voile sur cette démarche en un clin d’oeil.

    Le cercle vertueux

    C’est en diffusant au plus large public possible ses intentions et ses impacts positifs que la sécurité psychologique devient un pilier évident des discussions entre salarié·e·s. Devenant un véritable sujet, les mentalités évoluent et nos comportements se modifient. Le point de vue systémique de nos comportements influence par ricochet la culture d’entreprise. C’est tout l’enjeu de la sécurité psychologique : faire partie des préoccupations et de la culture d’une entreprise.

    Quel intérêt me demandez-vous ? Pourquoi vouloir à tout prix faire progresser la culture d’entreprise ? Parce que le monde est en perpétuel changement, que des prises de position peuvent évoluer, que des comportements ne sont plus tolérés maintenant. Dans dix ans, nous aurons le même constat par rapport à nos motivations et opinions actuelles. Il faut donc constamment se remettre en question.

    Mais vers quel but ? Si la culture change, nous espérons qu’elle évolue vers une dimension plus progressiste et non vers un rétropédalage antique. Bien que le but d’une entreprise ne soit pas la recherche du bonheur, elle doit permettre à ses salarié·e·s de s’épanouir comme iels l’entendent, sans contraintes, afin d’accomplir leurs objectifs personnels et professionnels.

    Ainsi, en commençant par choisir le bon vocabulaire, l’expliquer et l’accompagner par l’exemplarité,  nous bâtissons les fondations de la sécurité psychologique et donc de la libération de la parole.

    Les mots appellent les mots.