改革 (kaikaku), le changement radical

À quel point défendez-vous les valeurs qui vous sont chères ? Surtout, quelles sont vos limites, votre seuil de tolérance face à une personne qui ne les incarne pas. Pire, qui les rejette ?

C’est une question cruciale lorsqu’on aborde le domaine de la sécurité psychologique car elle met en lumière notre capacité à accepter une situation qui ne nous convient pas ; évidemment sans en partager ouvertement les désagréments. Or, un environnement psychologiquement sûr devrait nous permettre d’aborder cette thématique sans crainte.

J’ai toujours pratiqué des arts martiaux, sans rechercher à passer des grades. Être ceinture noire ne m’a jamais intéressé, préférant apprendre, améliorer ma technique, ma lecture de l’adversaire, plutôt que de gagner des récompenses. Un jour, on m’a proposé tout de même de passer la première dan, histoire d’acter ma progression et de valoriser ma technique. Pour cela, quelques stages de préparation étaient nécessaires avant de passer l’examen. C’est justement un de ces stages qui m’a permis d’appliquer le fameux changement brutal, le kaikaku (改革).

Je vous passe les détails de la préparation : lors de ma future démonstration, il m’est demandé de réaliser un mouvement assez complexe que je ne suis pas capable physiologiquement de faire. Je l’explique au professeur et tente de convenir avec lui d’une technique alternative pour tout de même continuer ma démonstration. Sa réponse m’a fait froid dans le dos : « même le métal finit par se plier quand il est chauffé. Si tu ne sais pas faire ce mouvement, j’aurai honte de te présenter au Grand Maître ».

Pour recontextualiser, je pratique pour mon plaisir, pour apprendre et entretenir ma discipline interne. Remettre tout mon engagement sur ce mouvement m’a paru tellement injuste, qu’il mit en avant l’insécurité psychologique de notre groupe. Pire, les autres stagiaires ont commencé à m’expliquer de manière paternaliste certaines techniques ou concepts.

C’en était trop, cela remettait trop de valeurs personnelles en jeu (l’écoute, le plaisir d’apprendre, la convivialité, l’intégrité, l’exemplarité, …). Malgré toutes ces années d’apprentissages dans cet art, je décidai de quitter le stage, le passage de grade, le cours hebdomadaire.

Voilà ce que peux provoquer un changement radical : réorienter ses efforts brutalement pour innover différemment. Quitter un groupe est une lourde décision à prendre, parfois impossible. La suite de mon analyse s’applique aussi bien aux personnes qui souhaitent continuer à travailler dans leur équipe, qu’à celles qui préfèrent rebondir où l’herbe est plus verte.

Pour l’histoire, j’ai toujours continué à pratiquer, mais sur d’autres tatamis et avec d’autres professeurs. Cependant, à l’époque, je n’avais pas pris le temps d’expliquer mes raisons. Une erreur car je laissais derrière moi aucun moyen au groupe de modifier ses comportements toxiques.

Depuis, j’applique régulièrement une sorte de filtre aux situations que je rencontre :

  1. Quelles sont les valeurs que je défends en ce moment ?
  2. L’environnement dans lequel j’évolue me permet-il de les vivre ?
  3. Les comportements des personnes autour de moi perturbent-ils mes valeurs ?
  4. En quoi ai-je ma part de responsabilité à cela ?
  5. Quel est mon champ d’action pour que la situation évolue positivement ?

Je vous laisse répondre aux questions 1, 2 et 3. Pour la quatrième, si je suis en partie ou entièrement responsable du malaise ressenti, j’applique les six étapes de Kim Scott dans son livre Radical Respect :

  1. On explore entièrement la situation qui a posé problème.
  2. On reconnaît son erreur publiquement.
  3. On en accepte les conséquences.
  4. On partage notre volonté de changer et vers quoi.
  5. On s’excuse.
  6. On change pour de bon.

Pour la cinquième question, c’est ici que se joue le véritable dénouement. J’adopte une approche stoïque radicale issue de la thérapie d’acceptation et d’engagement.

  1. Je tente de reconnaître mes comportements récurrents : une pensée qui revient souvent ou qui est vielle.
  2. J’identifie mes pensées et émotions lorsque je me comporte ainsi.
  3. Je les accepte (par exemple, prendre dix inspirations pour faire le point et réfléchir à ce qu’il se passe intérieurement).
  4. J’agis suivant mes valeurs : quelles valeurs personnelles peuvent m’aider à transformer ceci en opportunité, pour moi, pour le travail ?

Si j’en conclus que je ne peux rien changer à la situation – et donc qu’elle finira par se répéter dans un futur proche – je décide de radicalement changer, quitte à recommencer de zéro dans un nouvel environnement.

Qu’on quitte ou non cet environnement toxique, il est nécessaire de partager nos raisons et nos ressentis :

  • Factuellement, ce qui ne nous convient plus.
  • L’état émotionnel que cela engendre chez nous.
  • La manière dont on aurait voulu que les choses se passent.
  • Le nouveau comportement qu’on aimerait initier dans notre groupe.

Cela fait entièrement écho aux techniques de communication non violente de Marshall B. Rosenberg, vous les aviez identifiées je suis certain.

Et vous, comment exprimez-vous vos désaccords pour initier de vrais changements dans votre groupe de travail ?